mardi 28 décembre 2010

Stéphane Hessel, une morale en politique.

Le gros succès de librairie que connaît la brochure « Indignez vous ! » que Stéphane Hessel vient de publier imposait un délai de révérence, mais aussi de réflexion, avant que ne reprennent leur cours nos manières de penser un moment troublées par l’impétueuse immixtion dans nos conscience de ces objurgations anticonformistes. Nous avons maintenant le recul qui convenait pour dire notre admiration devant la jeunesse de pensée de cet exceptionnel personnage.
Cet homme fut admis à l’Ecole Normale Supérieure où il a adopté, dit-il, la pensée optimiste de Hegel. Il fut aussi un héros de la résistance. Il a participé à l’élaboration de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il a été ambassadeur de France. Il a contribué au prestige de notre pays. Il rappelle aujourd’hui aux jeunes générations les périodes sombres de notre histoire avant qu’elles ne tombent dans l’oubli. Il participe encore à toutes les actions de protestation contre les politiques d’exclusion et se dévoue pour le sort des plus défavorisés, sans-papiers, Roms et autres sans droits. Rien ne le laisse indifférent dans le malheur des hommes. A l’âge où d’autres ont depuis longtemps abandonné la lutte, gagnés par la lassitude de vains combats, cet homme, non seulement continue à s’indigner, mais condamne aussi notre résignation devant les injustices du monde.
La non-violence serait, dit-il, l’adéquate riposte, et il se borne à citer Mandela et Martin Luther King. Et c’est ici que, après la force de la conviction, commence la faiblesse du raisonnement. On ne peut qu’être déçu de la manière dont est traité le sujet alors qu’il y a tant de choses à dire sur la désobéissance civile, sur la dissidence, sur le refus en face des abus de la puissance publique. Voici comment se présente, sur l’oppression, la phrase-clé du chapitre : « Aussi bien du côté des oppresseurs que des opprimés, il faut arriver à une négociation pour faire disparaître l’oppression ». On conviendra qu’il y a là beaucoup de naïveté et la méconnaissance décevante de la division du monde entre dominants et dominés avec, les uns en face des autres, l’impitoyable loi du rapport de forces.
Comme disait avec cynisme le milliardaire américain Warren Buffett : « La lutte des classes existe, c’est nous qui la menons, nous les riches, et c’est nous qui la gagnerons ».
En face de cette brutalité, il faut bien oser un début d’explication à la candeur. On peut la trouver dans le périmètre philosophique que s’est tracé notre conseilleur, adoptant Hegel pour son optimisme dit-il, mais oubliant l’étape suivante dans le cheminement des idées, celle qui, passant par Feuerbach, nous conduit jusqu’à Marx et Engels dans leur démonstration de la nécessité d’une transformation radicale de la production et des structures sociales.
C’est pourquoi, dans sa conclusion, l’estimable auteur d’un ouvrage qui connaît tant de succès attribue l’injustice sociale à la menace, selon lui toujours présente, de la barbarie fasciste plutôt que d’en rendre responsable l’avidité d’une classe sociale qui, en regardant les autres travailler, s’attribue les profits du système de production qu’elle a imaginé.
C’est pourquoi encore, conscient de la puissance néfaste des médias, il nous invite à les combattre par « une véritable insurrection pacifique », selon son expression, alors qu’une culture politique élémentaire nous enseigne que les idées dominantes sont celles de la classe dominante, celle qui détient à la fois les moyens de production matérielle et intellectuelle, celle que la menace d’une insurrection pacifique ferait sourire, celle à qui l’indignation du peuple ne fera jamais perdre l’appétit.
On comprend le succès démesuré de cette rhétorique facile et pourtant salutaire.
Mais il ne faut pas trop creuser, car on ne fait pas de bonne politique avec des bons sentiments.
Georges Apap, Béziers le 24 Décembre 2010.

vendredi 5 novembre 2010

Désobeissance civile : l'envol.

J'avais quinze ans quand notre professeur de littérature nous a parlé succinctement du théâtre grec antique, et plus spécialement de l'Antigone de Sophocle. Vous connaissez l'histoire : le tyran Créon qui régnait sur Thèbes avait interdit qu'on donnât à Polynice une sépulture. Je n'entre pas dans le détail de l'histoire. Antigone était la soeur de Polynice. Elle transgressa l'interdiction de Créon et, de nuit, alla recouvrir de terre le corps de son frère. Surprise par les gardes, elle fut conduite devant Créon qui lui reprocha d'avoir désobéi à la loi. Elle lui répondit que sa loi était injuste par son mépris de la loi sacrée, celle des Dieux, car donner une sépulture à un mort est un principe sacré auquel aucune loi humaine ne saurait déroger. Cette réplique lui coûta la vie.
Voila pourquoi, à l'âge de quinze ans, j'ai aimé Antigone d'amour. Elle me fit comprendre que notre différence d'âge nous empêchait de rien construire ensemble. Je me rendis à ses raisons, et mes sentiments se sublimèrent en une intense admiration. Antigone a longtemps été pour moi le plus immense personnage du théâtre, de tous les théâtres.
De là date ma conversion à la désobéissance civile.
Je vous raconterai la suite si vous y voyez quelque intérêt.
Georges Apap. Béziers le 5 Novembre 2010.

jeudi 14 octobre 2010

La dame persécutée par les Roms

Ce qu’il y a de curieux dans cette polémique sur les Roms c’est qu'elle offre à des colères mal dirigées l'occasion de s'épancher. Ainsi, en bonne place dans le « Midi Libre » du Samedi vingt cinq Septembre, une dame en plein désarroi, affiche son ressentiment quand elle s’aperçoit que depuis plusieurs semaines un groupe de Roms a occupé un terrain vague qu’elle n’entretenait pas et, lors de son expulsion forcée, y a abandonné de la ferraille et une caravane défoncée. Or, à bien lire cette plainte, on s’aperçoit que l’indignation de la dame, qui en bonne logique aurait dû viser les Roms, se dirige vers nous qui défendons leur cause, nous, membres du Collectif de soutien au Roms de Béziers et du Biterrois. Voyez comme elle nous invite à les accueillir chez nous, ou encore à venir nettoyer son terrain, argument qui, selon le journaliste commentateur, comporterait une note d’humour. Laissons cette pauvre dialectique divertir ceux qui continuent à dénoncer notre naïveté supposée, et reprenons sérieusement notre réflexion, déjà exposée mais qui reste parfois inaudible. L’Europe qu’on nous a construite suppose la libre circulation des capitaux, des marchandises et des peuples. Mais notre gouvernement, pour ne parler que de lui, tente d’expulser par des moyens illégaux ceux qui sont persécutés ou maintenus dans la misère et qui croient que, pour eux, les frontières n’existant plus, ils peuvent se réfugier ailleurs que chez eux. La dame qui nous interpelle dans le « Midi Libre » s’apitoie sur leur sort et parle à leur propos de « pauvres malheureux ». Nous refusons, et ils refusent eux aussi, cette forme de pitié. Ils revendiquent, et nous revendiquons pour eux, le respect de leurs droits. Ils se demandent par exemple, et nous nous le demandons avec eux, pourquoi on a longtemps refusé à Béziers de scolariser leurs enfants et pourquoi il a fallu une décision judiciaire pour contraindre le maire à les accepter dans nos écoles, pourquoi on leur refuse le droit de travailler, et pourquoi ils continueraient à avoir le même visage apeuré que celui qu’arboraient leurs ancêtres en face de l’autorité publique dans un passé récent.
L’autorité publique justement s’évade aujourd’hui devant les responsabilités. Cette dame qui ne nous aime pas déplore l’absence d’aire de gens du voyage. Que ne se tourne-t-elle vers le maire de Béziers à qui la loi impose l’aménagement d’une telle structure ? Mais là n’est pas la question. Le sous-préfet de Béziers avait pris des engagements bien précis au cours d’une large réunion qui s’est tenue le 18 novembre dernier. Nous les avons souvent rappelés : on devait aménager un lieu d’accueil avec notamment un point d’eau et le ramassage des ordures ménagères. Si ces engagements avaient été tenus, cette dame n’aurait jamais eu à déplorer l’occupation de son précieux terrain vague. Ils n’ont pas été tenus. Notre entrevue avec le sous-préfet en Juillet dernier a montré la profondeur du mépris pour notre rappel de ses promesses.
Le plus étonnant est que, lorsque les institutions manquent aux obligations que leur impose la loi, ou se dérobent devant leur parole, c’est à nous que s’en prend la partie la moins informée de l’opinion.
Pourtant le rôle que nous avons décidé d’assumer est, entre autres, de dénoncer, et quand nous pointons du doigt les défaillances, ce n’est pas le doigt qu’il faut regarder.
Béziers le 25 Septembre 2010.
Georges Apap.

lundi 20 septembre 2010

Le paradoxe du révolutionnaire.

On les appelle « Economistes » et ce seul titre suffit à leur conférer un étrange prestige. Il est vrai que leur caste peut s’enorgueillir de nombreux prix Nobel, et d’une impressionnante lignée de savants, professeurs, chroniqueurs, commentateurs et auteurs, à la science pourtant incertaine et souvent obscure, de cette obscurité qui justement suscite l’admiration la plus vive, car il est connu qu’on est tenté d’adorer ce que l’on ne comprend pas.
Or, aussi nombreux soient-ils, il ne s’en trouvera pas deux qui aient la même analyse des faits économiques et des évènements qui affectent, parmi les activités humaines, celle qui vise à s’enrichir par la production et la consommation des biens matériels.
On me dira que l’économie n’est pas une science exacte et que ses théorèmes sont perpétuellement remis en cause. On n’en peut faire le reproche à personne, mais cette incertitude n’assoit aucune crédibilité et rend incompréhensible l’enthousiasme qui accompagne chacune des œuvres divergentes et des pensées impénétrables de cette élite.
Si bien que je crois, moi, que n’importe lequel d’entre nous est fondé à se laisser aller à sa propre intuition pour donner à ces faits et évènements une interprétation personnelle qui vaut n’importe quelle autre.
Je répète ce qui est admis par tous, à savoir que le capitalisme se perpétue de crise en crise, et que chacune de ces crises naît d’une distorsion dans le partage, dans l’entreprise, des richesses produites par les travailleurs. Il s’agit de comprimer les salaires pour mieux alimenter les dividendes des actionnaires. La crise de surproduction apparaît dès que les populations appauvries ne peuvent plus consommer ce qu’elles produisent, faute de moyens.
Ce mécanisme est connu. Mais l’avidité des actionnaires est telle, que l’employeur ne veut rien concéder aux salariés, et qu’il précipite ainsi la crise.
Il fut un temps où la misère des travailleurs laissait indifférents leurs exploiteurs qui savaient trouver ailleurs des débouchés pour leur production. Les guerres coloniales et les conquêtes leur procuraient de nouveaux marchés, sans compter la ressource de matières premières obtenues à des prix dérisoires pour leurs manufactures.
Cette joyeuse époque est aujourd’hui révolue. La spoliation de populations indigènes dans des pays lointains a cessé d’être sanglante, quoique plus insidieuse. Elle ne suffit plus aux prédateurs pour tirer le profit espéré d’une production surabondante. Pourtant la simple idée d’augmenter les salaires les révulse. Il faut trouver autre chose. Ce sera le crédit à la consommation. On ouvre les vannes à l’endettement des ménages avec un empressement délirant, au mépris de la précaution élémentaire d’un examen de la solvabilité des emprunteurs. Quand vient le moment de régler les comptes la crise éclate comme une grenade dégoupillée, au grand étonnement simulé de financiers qui jouent la stupéfaction devant leurs propres turpitudes. Cette crise, c’est celle que nous vivons aujourd’hui.
On a cependant connu des périodes de clairvoyance, celles où les employeurs ne lésinaient plus sur les salaires et assuraient au prolétariat des revenus qui lui permettaient, par la consommation, d’absorber la production. Le capitalisme connaissait alors une prospérité qu’accompagnait l’apaisement relatif du climat social. Ainsi l’américain Henry Ford fit fortune en décidant que chacun de ses ouvriers devait pouvoir, avec son seul salaire, acquérir une des automobiles fabriquées dans son usine. C’était au tout début du vingtième siècle. De même après la guerre, pendant ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses, le rééquilibrage des salaires a assuré la prospérité des entreprises, non seulement par l’application des théories du britannique Keynes qui prônait l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés, mais aussi par la poussée du robuste mouvement social de l’époque.
S’il faut, de tout cela, dégager une conclusion, et si ces observations ne sont pas erronées, on énoncera que les bas salaires favorisent les crises du système et son affaiblissement, tandis que le bien-être tout relatif des travailleurs conforte le capitalisme dans sa vocation d’exploiteur et dans son destin de parasite du genre humain.
La traduction politique de ce paradoxe fera que le plus convaincu des marxistes se battra, au nom de la solidarité, pour soutenir toute revendication visant à l’amélioration de la condition des travailleurs, et que, ce faisant, il gagnera inconsciemment et avec les meilleures intentions du monde, les rangs des adversaires de la transformation sociale.
Reste donc posée la question de savoir si l’on peut faire de la bonne politique avec de bons sentiments.

Georges Apap, Béziers le 5 juin 2009.
publié par "lo Camel".

Identité de classe.

Les mythes ont toujours suffi à meubler les lacunes des connaissances humaines. Ils ont aidé à croire que nous pouvions connaître l’inconnaissable et nous ont doucement conduits dans l’espace religieux. Jusqu’au moment où ils se sont pervertis en mystifications. Si les anciens proposaient à l’admiration des peuples les sirènes, centaures, cyclopes et autres monstres, si les écossais sont fiers de leur Loch Ness, quelles vaines et insignifiantes glorioles comparées à l’immense imposture qu’on nous a offerte, à nous Français, sous le nom d’ « identité nationale » !
Car voici qu’envahit le débat public un nuage inconsistant qu’on hésite à appeler idée, notion, concept ou autre dénomination abstraite, en face du vide absolu de toute définition, de toute description, de toute approche, si mince soit-elle, d’une réalité perceptible ou même d’un imaginaire compréhensible. Beaucoup s’y sont essayés pourtant avec passion, sans jamais réussir à convaincre ni à rassembler une opinion égarée.
On a assez expliqué par des nécessités électorales et des soucis politiques la génération spontanée de ce rien, pour que je m’abstienne d’y ajouter mon propre commentaire. Ce qui étonne cependant c’est le volume soudainement occupé dans la sphère intellectuelle par une controverse obscure entre bretteurs fougueux qui se contredisent dans l’indignation et la fureur. On a rarement vu déployer tant de dialectique de part et d’autre du néant.
Or, pendant que les commentateurs s’affrontent, les travailleurs, les exploités, les chômeurs, les sans domicile, les sans papiers, les sans droits, tous se reconnaissent dans l’interchangeabilité de leur condition et dans la précarité de leur sort. Tous savent bien qu’ils ne s’identifieront jamais à ceux qui les exploitent et qu’aucun patriotisme économique n’effacera leur opposition de classe. On a bien vu, au dernier congrès de la CGT comment apparaissait une solidarité de classe contestataire qui n’acceptera plus les compromissions d’un syndicalisme d’accompagnement, synonyme de collaboration de classe.
Une conscience s’éveille chez les travailleurs. Ils savent le peu qu’ils comptent dans la nation aux yeux de ceux qui veulent les délocaliser pour écraser les salaires. Ils se moquent de frontières qui ne les protègent pas, comme s’en moquent aussi ceux qui vont planquer dans des paradis fiscaux l’argent qu’ils n’ont pas gagné. Ce sont bien deux catégories sociales qui s’opposent, l’une dominant l’autre, dans une lutte des classes mondiale où la dictature de la bourgeoisie étend son empire sur les hommes, les choses et la planète.
La seule identité visible c’est l’appartenance à une classe. Elle n’a rien de national quand la nation se dilue dans des intérêts qui la dépassent et qui la nient.
On ne peut mieux illustrer ce qui précède que par la reproduction intégrale de la sinistre profession de foi du milliardaire américain Warren Buffett dans le « New York Times » du 26 novembre 2006 : « Il y a une guerre des classes, c’est vrai, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre, et c’est nous qui la gagnerons ».
Ceux qui n’ont pas compris qu’il n’y a pas d’autre issue que la révolution, nous expliqueront comment ils vont échapper à cet écrabouillement de leurs espoirs, de leur avenir, de leur vie, à supposer qu’ils en aient forgé l’utopie.

Georges Apap, Béziers le 11 décembre 2009.
publié par "lo Camel" Janvier 2010.

mercredi 11 août 2010

Déconstruire Freud.

(Onfray : "Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne")

Les psychanalystes, psychiatres ou autres « psy » se déchaînent, avec un ensemble prévisible mais une virulence surprenante, contre le philosophe Michel Onfray. On dirait un essaim de guêpes fondant sur l'imprudent qui approche son nid. C'est que l'imprudent en question vient de faire paraître une œuvre iconoclaste dénonçant la mystification comme fondement d’une science psychanalytique, et le charlatanisme de Sigmund Freud, son inventeur supposé. Le dernier article qu’il nous ait été donné de lire est paru dans Politis le 15 juillet dernier sous le titre « La mort d’Onfray ». Son auteur le conclut par cette injonction dont hélas, il s’affranchit lui-même : « on ferait bien de parler enfin d’autre chose », comme pour signifier que la discussion est close après qu’il a parlé.
Octroyons nous l’impertinence de poursuivre le débat, et laissons le savant inventeur de la pseudo science aux prises avec son béotien de lecteur. Celui-ci, qui n’a éprouvé que révérence aimante pour son père et qui a entouré sa mère d’une affection pure, apprend du grand homme qu’il vit dans un monde où les fils ne pensent qu’à tuer leur père et à violer leur mère. Il s’étonne que de telles extravagances soient communément admises, commentées, disséquées, analysées, adoptées par de savants auteurs. Il est effrayé à l’idée qu’elles servent à des thérapeutes. Il est reconnaissant à Onfray de dissiper ces balivernes et de démontrer que le grand homme a érigé en règle générale les ressorts d’une conduite qui lui était personnelle. Il a mille autres occasions de tomber des nues, ne seraient-ce que les méthodes barbares mises au point pour soigner et prétendre guérir par des excentricités qui sont parfois devenues tragiques.
Le divan, objet matériel devenu notion abstraite, le laisse perplexe quand il apprend que le grand homme dormait à l’écoute de ses malades, et dépité quand Freud explique que dans son sommeil, son inconscient rejoint celui de son patient. Il ne peut croire qu’une quelconque vérité scientifique ait été construite par un homme qui croyait à la télépathie, à l’occultisme, au spiritisme et à la magie, et comprend que Freud n’ait pas osé donner à sa construction d’autre nom que celui de « mythe scientifique », expression dont la contradiction interne n’a pu lui échapper.
Le lecteur béotien est enclin à faire confiance à Onfray quand celui-ci découvre une mystification qu'il dévoile par des citations dont personne ne discute l’exactitude : elles émanent de Freud lui-même, de ses proches, de ses amis, de ses adeptes, de ses patients. L’étude appliquée des œuvres complètes du grand homme, la confrontation avec l’histoire, les déductions irréfutables convainquent le béotien qui n’aperçoit derrière ces révélations aucune intention malveillante. Les yeux s’ouvrent, pour lui, sur l’une des tromperies les plus flagrantes et à la fois les plus fumeuses de l’histoire des hommes.
Mais l’épais bon sens du béotien est largement ignoré des savantes analyses des savants auteurs qui ne se laissent pas prendre aux évidences du raisonnement simple. Ils ne contredisent pas Onfray argument contre argument, citation contre citation, déduction contre déduction. Ils n’opposent à sa thèse que le mépris de celui qui sait, sans en discuter le fond qu’ils n’abordent même pas. Ils concluent généralement leurs diatribes par l’une ou l’autre de ces questions brûlantes : Pourquoi un tel engouement des médias ? Pourquoi tant de notoriété ? Pourquoi un tel succès de librairie ? Pourquoi cette manne tombant aussi drue sous forme de droits d’auteur ?
Il ne faut peut-être pas aller chercher bien loin les réponses. Le lecteur trouverait-t-il enfin dans une phrase élégante et claire l’accès à des notions simples, qu’on lui explique simplement dans un langage qu’il comprend et qui désembrume la prose obscure dans laquelle les initiés se complaisent ? Peut-être est-il rassuré de savoir que celui qui leur parle connaît à fond son sujet, qu’il a tout lu de Freud et sur Freud, qu’il a d’abord adhéré à ses théories, et que seule une étude approfondie lui a permis de découvrir d’artificielles arguties au soutien d’hypothèses controuvées. Il est sûr en tout cas que sa parole porte avec d’autant plus de vigueur qu’elle n’est pas sérieusement contredite.
On croit comprendre que la personne d’Onfray indispose les savants auteurs davantage que ses écrits. C’est le lot de tous ceux qui veulent affranchir leurs contemporains de l’un de ces obscurantismes qui voient triompher la foi du charbonnier contre les développements logiques de la raison.
Eliacin, Béziers le 1er Août 2010.

vendredi 23 juillet 2010

Casse toi, pov ' Rom !

Nous aurions aimé voir nommer des préfets humanistes, sachant s’entourer de gens de culture et d’expérience, de professionnels de l’éducation et de l’enseignement, de travailleurs sociaux, d’experts en sciences humaines, de policiers attentifs autant au respect de la loi qu’à celui des personnes, de spécialistes de la jeunesse délinquante, les uns et les autres soucieux de paix sociale.
Notre naïveté est grande. Je parle de nous qui voulions aider certaines populations que nous pensions injustement traitées par des institutions hostiles et une opinion que nous jugions mal informée. Nous voici détrompés. Dans une proclamation tonitruante du 21 juillet 2010 le Chef de l’Etat annonce la nomination de deux préfets à poigne, tous deux grands policiers, avec la mission précise de chasser les Roms de leurs campements illicites. La solution était évidente. La délinquance était inconnue dans notre pays avant l’arrivée récente de ces populations, Roumains persécutés dans leur pays, ou anciens Yougoslaves devenus apatrides. Ils ne peuvent être expulsés, les uns parce qu’ils sont communautaires européens, les autre parce qu’ils sont apatrides. Depuis qu’ils sont parmi nous, les crimes et délits prolifèrent. S’ils ne les commettent pas, ils les inspirent par le triste exemple de leur perversion. On citera la corruption qui règne dans les sphères gouvernementales, les fraudes fiscales, les abus de biens sociaux, les évasions de capitaux, les délits d’initiés, et plus généralement toutes ces malversations qui mettent en péril le budget de la nation. Oui, ils sont bien coupables. Le Président a raison de les dénoncer à la vindicte publique.
Le remède devient évident. Il faut les chasser de camp en camp, de bidonville en bidonville. Oui mais jusqu’où ? C’est là que se posera la question d’une solution que d’autres ont appelée « finale ». Encore un tout petit degré à franchir dans le tragique…
Confessons à nouveau que notre naïveté était grande. L’intégration de quinze mille Roms dans un pays de soixante cinq millions de citoyens généreux nous paraissait chose aisée. De même, à une échelle plus réduite, celle de cent cinquante êtres humains dans une ville comme Béziers peuplée de soixante dix mille habitants accueillants, ne devait pas, pensions nous, poser de graves problèmes. Quelle erreur était la nôtre ! Le Président nous montre la voie : « Casse toi pov’Rom » !

Béziers le 22 juillet 2010.
Georges Apap.
publié par l'hebdomadaire "Politis" n° 115 du 26 août 2010.
publié par le quotidien "l'Humanité" n° 20475 du 18 septembre 2010.

mercredi 14 juillet 2010

Préface pour une histoire de Biskra


L’immense désespoir qui nous a saisis quand on nous a imposé de quitter ce pays où nos ancêtres, en tant de générations successives, nous avaient préparé un avenir heureux, ce désespoir ne nous a pas quittés. Chacun d’entre nous en a fait le ressort d’engagements les plus divers. Celui de Paul Pizzaferri est d’une qualité rare, puisque la fidélité et la mémoire font la matière d’une œuvre tout entière consacrée à cette ville où il a passé sa vie entre jours heureux, angoisses et déception.
Biskra est une ville inattendue dans une région inimaginable et indescriptible pour qui n’y a pas laissé quelques plages de son existence, pour qui n’y a pas éprouvé dans ses jeunes années l’insouciance de l’avant-guerre, et dans l’âge adulte les exhalaisons désolantes des successives tragédies ambiantes.
Inattendue car il n’est pas banal de choisir de planter sa tente entre les montagnes colorées des Aurès qui resplendissent au soleil couchant, et les premières dunes sahariennes qui s’offrent au vent du désert. Dans ce paysage étonnant, des hommes se sont installés, ont vécu et ont créé, jouissant d’un climat paradisiaque en Février autant qu’infernal en Août, souffrant de la sécheresse au long de l’année et de pluies torrentielles en Septembre, endurant ces inélégances de la Nature pour façonner ce qui, à un moment de l’histoire, a ressemblé à un bijou enjolivé, année après année par une lignée d'habiles artisans.
Mais la nostalgie n’explique par tout. L’œuvre de Paul est positivement colossale. Elle est l’aboutissement d’un labeur ininterrompu pendant des années, d’une constance de tous les jours, d’une recherche permanente avec cette curiosité d’esprit qui est la marque de l’historien. Et c’est précisément cette dimension historique qui a conduit notre ami à élargir son étude pour lui donner le cadre qui convenait, celui du « Constantinois », comme on a l’habitude de nommer ce territoire bordé au nord par le sable blond des plages, et au sud par le sable blond des dunes. Le rocher de Cirta, aujourd’hui Constantine, domine de sa fière allure l’abord des hauts plateaux, commandant l’accès au massif secret des Aurès qui a bien voulu consentir à ouvrir les gorges d’El-Kantara pour laisser passer le chemin de Biskra.
On me dira que partout sur cette terre, chacun est persuadé que son village est le plus beau du monde. C’est vrai aussi pour nous qui avons parcouru en tous sens cette province, y avons vécu, étudié, travaillé, aimé. Nous avons tant à dire, et en même temps nous nous taisons par un inexplicable sentiment de pudeur, par la certitude de ne plus jamais revoir les lieux de notre passé, par la crainte de réveiller cette douleur qui nous prend aux entrailles dès que le souvenir est ravivé. Nous devons à Paul une profonde gratitude pour avoir surmonté ces réticences, pour raconter ce que nous n’osons pas raconter, et pour aller plus loin encore dans une étude de valeur scientifique. Grâce à lui l’histoire retiendra ce que fut notre pays, et nous-mêmes découvrirons l’étendue de notre ignorance.
Or l'histoire, justement, s'écrit par l'étude, la compilation, la critique, la confrontation des récits de ceux qui l'ont vécue. Elle ne serait rien sans les témoignages. Mais quand le témoin se fait historien sans rien perdre de sa lucidité, quand ses joies et ses peines se sont inscrites dans une mémoire plus vaste que l'émotion a accompagnée, alors on peut comprendre que la passion trop longtemps contenue transparaisse. Paul s'y est parfois laissé aller. Nul ne peut lui en faire reproche car l'honnêteté et l'authenticité de ses enquêtes ne peuvent à aucun moment être remises en cause.
Quant à la vérité, je ne suis pas le premier à dire qu'insaisissable, elle s'enrichit de l'imaginaire de chacun d'entre nous.
Il nous faut donc, dans l'oeuvre de Paul, apprécier et ressentir. Apprécier le travail de l'historien dans ce qui relève de l'étude. Et ressentir avec lui la douloureuse traversée d'une époque, marquée par tant de drames, de retournements de situations et de vicissitudes politiques et humaines.
On trouvera ce livre émouvant. Mais, la dernière page tournée, il sera difficile d'échapper à la vision désespérée de l'écroulement d'un monde.


Georges Apap.

dimanche 27 juin 2010

BIDONVILLE ET DROIT

Nous sommes dans la cité généreuse de Lyon où les élus sont connus pour leur sens de l’hospitalité. Nous avons gagné la rue Paul Bert, dans le troisième arrondissement. On nous a montré sur un terrain appartenant au département, un campement à l’allure de bidonville peuplé d’une centaine de Roms originaires de Roumanie, tous expulsés d’autres campements de la ville et qui se sont regroupés là dans l’illégalité la plus flagrante, en violation du droit sacré de propriété dont le département est, ici, l’indiscutable titulaire. Gardien vigilant du patrimoine départemental le Conseil Général se devait de faire déguerpir les intrus. Il crut pouvoir user de la procédure de référé habituelle pour obtenir, comme d’usage, dans le strict respect des codes et pour la bienséance institutionnelle, une ordonnance prononçant leur expulsion.
La stupéfaction fut grande dans le monde judiciaire et politique lorsque le Président du Tribunal annonça, le 16 novembre 2009, que les Roms ne seraient pas expulsés d’un campement qui constituait leur domicile «protégé, au titre du respect dû à la vie privée et familiale des personnes par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme». Le magistrat ajoutait que le département n’était en rien privé de la jouissance de son droit puisque aucun projet n’était prévu pour ce terrain, et, disait-il, «même si les conditions de vie, qualifiées par le Commissaire de Police, en terme d’hygiène, de rudimentaires à l’intérieur du campement et de déplorables à proximité immédiate, sont celles d’un bidonville, le département du Rhône ne démontre pas qu’elles présentent des dangers et des risques particuliers autres que ceux propres à ce type de situation que connaît l’agglomération lyonnaise depuis des années».
Le profane doit savoir qu'une telle ordonnance peut "faire jurisprudence", comme disent les initiés,et que la jurisprudence est une manière de trancher une question de droit dans un sens qui peut rompre avec les habituelles applications strictes des codes. Elle peut contribuer à modifier la loi. On voit dans la décision du magistrat lyonnais comment le droit de propriété, considéré comme sacré dans notre législation, peut être supplanté, dans une interprétation pleine d’humanité et de bon sens, par un concept relevant du respect de la personne humaine, fût-elle celle de réprouvés injustement traités par leurs contemporains, ceux là même qui pourtant s’émeuvent des malheurs des enfants du tiers monde : les voies de la compassion sont impénétrables.
Une nouvelle fois la démonstration est faite que le courage de certains magistrats peut gommer l'âpreté et la rudesse des lois qui protègent l'ordre établi en son prestige, et les honnêtes gens en leur bonne conscience.
Georges Apap, le 13 Décembre 2009.

RETRAITES IMAGINEES


On nous dit que, puisque l’espérance de vie progresse, on doit travailler plus longtemps. Et moi je réponds que, puisque l’espérance de vie progresse, on doit se reposer plus longtemps.
Ce n’est pas une boutade. Je pense à une société qui serait reconstruite pour le bonheur du peuple, en abrégeant sa servitude, plutôt qu’en prolongeant son exploitation. On ne voit pas pourquoi l’actionnaire d’une multinationale se reposerait toute sa vie de n’avoir jamais travaillé, et demanderait à ceux qui produisent les richesses dont il se gave de tirer le harnais encore quelques années, juste pour lui garantir son fastueux train de vie.
Le système qui consiste, pour les travailleurs, à longuement cotiser pour se constituer une retraite qui s’amaigrit au fil du temps, est un système périmé. Les cotisations n’y suffisent plus puisque le chômage, conjugué avec l’allongement de la vie fait, paraît-il, qu’un travailleur doit désormais entretenir deux retraités, ce qui est évidemment au dessus de ses forces. Les retraites ne doivent plus être prélevées sur la chiche rémunération du travail, mais sur la richesse produite par le travail. Ce sont les travailleurs qui assurent la prospérité de la nation. Les retraités doivent y avoir leur part. Ils y ont contribué toute leur vie.
Par conséquent il faut en finir avec les cotisations, salariales ou patronales, avec les exonérations concédées par la faveur du prince, et avec les caisses de retraites déficitaires. La protection sociale doit reposer sur la collectivité par une élémentaire logique de solidarité, un vrai souci de morale publique. Une autre répartition de l’effort doit y pourvoir. Les retraités doivent bénéficier de la prospérité de la nation et s’inviter au partage dans la valeur ajoutée des entreprises, dans les revenus du capital, et plus largement dans le produit intérieur brut. Les ressources ne manquent pas. C’est la façon dont elles doivent être collectées qui doit changer, comme aussi la manière dont elles doivent irriguer le peuple dans ses besoins, dans ses exigences.
Il y faut une autre vision de la société. La lutte des travailleurs n’est plus désormais de discuter des modalités d’un système qui continue de peser sur leurs seules épaules. Les organisations syndicales doivent penser autrement l’avenir de la classe salariale, et se pénétrer de l’idée que leur exacte mission est d’aider le peuple à se délivrer de la domination.
Georges Apap, Béziers le 15 juin 2010.

lundi 7 juin 2010

UNE JUSTE INDIGNATION



Israël vient d’arraisonner un bateau de pacifistes à destination de Gaza. Il y aurait au moins neuf morts. La protestation est universelle. Tous les peuples du monde manifestent pour dénoncer une forme de terrorisme d’Etat. Une levée de boucliers générale réunit les chefs d’Etat, les personnages politiques de tout bord, les responsables éminents ou minuscules de toute structure, minuscule ou éminente, dans un remarquable conformisme. L’ONU met en place une commission d’enquête, tandis que mon audacieux voisin défile dans les rues derrière un drapeau palestinien.
On me parlera de l’ignominie d’une politique destinée à affamer et désarmer un peuple pour le tenir à sa merci. Je suis d’accord. Je partage l’indignation générale. Tout cela doit cesser.
Mais je refuse de manifester avec la multitude anonyme et de protester simplement pour ne pas être en reste. J’observe et pour cela, je prends de la distance, grâce à quoi j’ai une vision globale. J’aperçois, aux antipodes, un autre blocus, celui que depuis un demi-siècle la puissante Amérique inflige à la petite île de Cuba dans l’indifférence générale. Depuis un demi siècle des commandos armés partent presque quotidiennement de Miami pour aller semer la terreur sur les côtes cubaines, et Fidel Castro a déjà échappé à plus d’une centaine de tentatives d’assassinat. Tout cela parce que le régime politique du petit pays déplaît à son grand voisin connu pour vouloir imposer aux autres cette forme de démocratie qu’il affectionne en portant chez eux le fer, le feu, le sang, et pour finir, l’impérialisme.
Je protesterai et je manifesterai contre tous les blocus dès lors que la protestation et la manifestation ne seront plus sélectives.
Beziers le 6 juin 2010.

lundi 17 mai 2010

Voile intégral.



Aujourd'hui 17 Mai 2010 rien n'a encore été décidé concernant le voile intégral, dit encore "burqa" ou "niqab" selon la fantaisie de celui ou celle qui croit savoir de quoi il ou elle parle. Saisi dit-on d'un projet de loi, le Parlement ne s'est pas encore prononcé. Or le Conseil d'Etat a fait déjà savoir par deux fois qu'il désapprouvait toute loi qui prétendrait interdire le port de cette tenue. Mais l'opinion publique lui est hostile. Les discussions privées comme les débats publics s'enflamment dans une réprobation commune, qu'on soit pour ou contre le vote d'une loi d'interdiction. Les uns et les autres dénoncent pèle-mêle une atteinte à la dignité de la femme, une entorse au principe de laïcité, une montée de l'intégrisme islamique, et il est même arrivé, dans le cadre de la mission d'enquête dirigée par le député Gérin, d'entendre un intervenant se scandaliser de l'atteinte que subit sa propre pudeur à la seule vue d'un voile...
On aura décidément tout entendu alors que ceux là même qui agitent ces belles idées reconnaissent unanimement, en invoquant l'autorité des responsables du culte musulman et même le sulfureux Tariq Ramadan, que le voile en question n'a aucun rapport avec l'Islam.
Peut-on aborder la question sous l'angle de la simple raison, en écartant du débat le bouillonnement des émotions et des préjugés, en examinant froidement les arguments des opposants pour les confronter à l'attitude souriante de cette infime minorité qui invoque la tolérance et le droit de se vêtir à sa guise ?
Admettons premièrement qu'il y a une certaine incohérence à soutenir que le vêtement en question porte atteinte à la laïcité ou qu'il est l'expression d'un intégrisme islamique, quand on proclame en même temps, avec la force de la conviction, qu'il n'a aucun caractère religieux.
Et comme on ne peut pas être plus islamique que les musulmans, qui répètent en choeur que le Coran ignore ce voile, reconnaissons qu'à l'évidence, il ne s'agit que d'une manière de s'habiller, conforme au goût de celle qui la choisit où à des moeurs qu'elle décide d'adopter.
Où est, là-dedans l'atteinte à la dignité de la femme quand on voit l'exhibitionnisme ambiant et la mise en scène de la nudité féminine ? Qu'on me comprenne bien : je suis pour les poitrines féminines dénudées sur les plages, pour les minijupes, pour les publicités qui affichent les corps dans le plus simple appareil, pour tout ce qui découvre l'anatomie de nos jeunes compagnes. Mais je ne vois pas ce qu'a d'indigne un voile qui recouvrirait leurs formes et je ne comprends pas pourquoi serait digne celle qui veut donner en spectacle ses charmes, et ne le serait pas celle qui préfère les dissimuler sous le vêtement qui lui plaît.
Je suis pour la liberté de choisir son accoutrement, pour le respect du goût des autres, pour la tolérance, et je sais bien que ceux qui prêchent la tolérance sont insupportables à ceux qui détiennent leur intransigeante vérité.
J'entends qu'on invoque l'Arabie Saoudite qui aurait interdit ce vêtement. Est-ce vraiment un argument ? Devrions nous aligner notre législation sur celle d'un pays connu pour son mépris affiché des droits de la personne ?
Ces nouveaux prohibitionnistes vivent une passion quasiment mystique qui explique les colères, les imprécations, les fausses indignations. Tout cela ressemble fort, même en dimension réduite, aux aveuglements qui accompagnent l'histoire des religions, les guerres, les assassinats, et cet obscurantisme ecclésial qui a conduit au bûcher tant d'hommes de science et de raison. On dira que je dramatise, mais que font ceux qui donnent à une question sans importance une démesure qui va jusqu'à une mission parlementaire suivie d'un projet de loi ? Voila la dramatisation qui agite inutilement l'opinion et dont certains disent qu'elle est artificiellement créée pour masquer les réalités d'une conjoncture inquiète.
On m'objecte d'ordinaire que celles qui portent le voile y sont contraintes par des époux qui les martyrisent. C'est là une question grave qui doit, elle aussi, être examinée dans l'objectivité la plus grande.
Que nous apprennent ces femmes lorsqu'elles sont interrogées par le procédé du micro-trottoir ? Elles sont, disent elles, absolument libres de leur choix vestimentaire et c'est de leur propre volonté qu'elles préfèrent porter le voile. Aucun reportage jusqu'ici n'a contredit ce propos, et l'on peut penser que l'anonymat sous lequel elles s'expriment cachées, leur permettrait de dénoncer, sinon celui qui les martyrise, au moins la pratique dont elles sont victimes. Cela n'a jamais été le cas jusqu'ici.
Pourtant il est vraisemblable qu'en effet certaines soient contraintes par quelque tyran domestique à ne sortir de chez elles que dissimulées. C'est là que la question se pose de savoir s'il faut qu'une loi les punissent parce qu'elles sont victimes du fanatisme conjugal. Un piège se referme sur elles avec une double mâchoire, celle d'un ordre public contestable, et celle d'un ordre familial odieux. On touche à l'absurde, alors que la raison commanderait qu'on protège la victime et qu'on recherche et punisse l'oppresseur, avec toutes les difficultés que comporterait une telle entreprise dans la quête d'une preuve. Telle devrait être la limite d'une loi spécifique, d'ailleurs inutile puisque le droit commun suffit à punir ces comportements.
Arrivé au terme de mon discours, voici que je me demande si je ne suis pas, comme ceux que je dénonce, victime de mes propres préjugés. Je dois expliquer ici que, né dans un petit port de la côte algérienne, j'ai parcouru l'Est et le centre de l'Algérie pendant les trente huit premières année de ma vie. On croira facilement, dans ces conditions, que j'ai rencontré, croisé ou aperçu beaucoup de femmes qui, dans la communauté musulmane, ne sortaient que voilées. J'ai connu toutes sortes de voiles, que là-bas on appelait "haïk", blancs à Alger, noirs à Constantine, de toutes formes, ornements, enjolivures, broderies, avec comme seul point commun qu'ils dissimulaient le corps et le visage, et même quelquefois ne laissaient apparaître qu'un seul oeil. On doit savoir que, dans ce pays, le voile était souvent porté avec grâce, et que certaines savaient l'accompagner d'une coquetterie de bon aloi. On comprendra dès lors pourquoi l'aspect d'une forme féminine voilée, loin de me choquer, évoque le souvenir d'un temps méconnu où celles que ce vêtement insupportait pouvaient s'en défaire sans drame.
C'est là mon préjugé. Il est rempli de sympathie pour ces femmes et s'accompagne du souci de préserver leur liberté de choisir leur vêtement, leur union conjugale et leur manière de vivre. Il s'accompagne aussi, du désir ardent de les voir un jour se dévoiler de leur plein gré.
Car, on devine bien que la pression de la modernité finira par gagner ces populations et que partout dans le monde le voile féminin tombera de lui-même. Ceux qu'incommode ce vêtement doivent se consoler dans l'attente que le temps fasse son oeuvre. Ils doivent comprendre que toute coercition entraîne une réaction de protestation qui prend bientôt la forme de la provocation, comme on le voit actuellement par la prolifération de cette nouvelle mode.
Il est d'observation très ancienne que la répression des conduites privées, dès lors qu'elles ne portent tort à personne, les exacerbe plutôt que de les éradiquer. Elle relève de cet emballement irraisonné de l'opinion, dont l'histoire nous offre maintes déplorables illustrations.