L’immense désespoir qui nous a saisis quand on nous a imposé de quitter ce pays où nos ancêtres, en tant de générations successives, nous avaient préparé un avenir heureux, ce désespoir ne nous a pas quittés. Chacun d’entre nous en a fait le ressort d’engagements les plus divers. Celui de Paul Pizzaferri est d’une qualité rare, puisque la fidélité et la mémoire font la matière d’une œuvre tout entière consacrée à cette ville où il a passé sa vie entre jours heureux, angoisses et déception.
Biskra est une ville inattendue dans une région inimaginable et indescriptible pour qui n’y a pas laissé quelques plages de son existence, pour qui n’y a pas éprouvé dans ses jeunes années l’insouciance de l’avant-guerre, et dans l’âge adulte les exhalaisons désolantes des successives tragédies ambiantes.
Inattendue car il n’est pas banal de choisir de planter sa tente entre les montagnes colorées des Aurès qui resplendissent au soleil couchant, et les premières dunes sahariennes qui s’offrent au vent du désert. Dans ce paysage étonnant, des hommes se sont installés, ont vécu et ont créé, jouissant d’un climat paradisiaque en Février autant qu’infernal en Août, souffrant de la sécheresse au long de l’année et de pluies torrentielles en Septembre, endurant ces inélégances de la Nature pour façonner ce qui, à un moment de l’histoire, a ressemblé à un bijou enjolivé, année après année par une lignée d'habiles artisans.
Mais la nostalgie n’explique par tout. L’œuvre de Paul est positivement colossale. Elle est l’aboutissement d’un labeur ininterrompu pendant des années, d’une constance de tous les jours, d’une recherche permanente avec cette curiosité d’esprit qui est la marque de l’historien. Et c’est précisément cette dimension historique qui a conduit notre ami à élargir son étude pour lui donner le cadre qui convenait, celui du « Constantinois », comme on a l’habitude de nommer ce territoire bordé au nord par le sable blond des plages, et au sud par le sable blond des dunes. Le rocher de Cirta, aujourd’hui Constantine, domine de sa fière allure l’abord des hauts plateaux, commandant l’accès au massif secret des Aurès qui a bien voulu consentir à ouvrir les gorges d’El-Kantara pour laisser passer le chemin de Biskra.
On me dira que partout sur cette terre, chacun est persuadé que son village est le plus beau du monde. C’est vrai aussi pour nous qui avons parcouru en tous sens cette province, y avons vécu, étudié, travaillé, aimé. Nous avons tant à dire, et en même temps nous nous taisons par un inexplicable sentiment de pudeur, par la certitude de ne plus jamais revoir les lieux de notre passé, par la crainte de réveiller cette douleur qui nous prend aux entrailles dès que le souvenir est ravivé. Nous devons à Paul une profonde gratitude pour avoir surmonté ces réticences, pour raconter ce que nous n’osons pas raconter, et pour aller plus loin encore dans une étude de valeur scientifique. Grâce à lui l’histoire retiendra ce que fut notre pays, et nous-mêmes découvrirons l’étendue de notre ignorance.
Or l'histoire, justement, s'écrit par l'étude, la compilation, la critique, la confrontation des récits de ceux qui l'ont vécue. Elle ne serait rien sans les témoignages. Mais quand le témoin se fait historien sans rien perdre de sa lucidité, quand ses joies et ses peines se sont inscrites dans une mémoire plus vaste que l'émotion a accompagnée, alors on peut comprendre que la passion trop longtemps contenue transparaisse. Paul s'y est parfois laissé aller. Nul ne peut lui en faire reproche car l'honnêteté et l'authenticité de ses enquêtes ne peuvent à aucun moment être remises en cause.
Quant à la vérité, je ne suis pas le premier à dire qu'insaisissable, elle s'enrichit de l'imaginaire de chacun d'entre nous.
Il nous faut donc, dans l'oeuvre de Paul, apprécier et ressentir. Apprécier le travail de l'historien dans ce qui relève de l'étude. Et ressentir avec lui la douloureuse traversée d'une époque, marquée par tant de drames, de retournements de situations et de vicissitudes politiques et humaines.
On trouvera ce livre émouvant. Mais, la dernière page tournée, il sera difficile d'échapper à la vision désespérée de l'écroulement d'un monde.
Georges Apap.
Biskra est une ville inattendue dans une région inimaginable et indescriptible pour qui n’y a pas laissé quelques plages de son existence, pour qui n’y a pas éprouvé dans ses jeunes années l’insouciance de l’avant-guerre, et dans l’âge adulte les exhalaisons désolantes des successives tragédies ambiantes.
Inattendue car il n’est pas banal de choisir de planter sa tente entre les montagnes colorées des Aurès qui resplendissent au soleil couchant, et les premières dunes sahariennes qui s’offrent au vent du désert. Dans ce paysage étonnant, des hommes se sont installés, ont vécu et ont créé, jouissant d’un climat paradisiaque en Février autant qu’infernal en Août, souffrant de la sécheresse au long de l’année et de pluies torrentielles en Septembre, endurant ces inélégances de la Nature pour façonner ce qui, à un moment de l’histoire, a ressemblé à un bijou enjolivé, année après année par une lignée d'habiles artisans.
Mais la nostalgie n’explique par tout. L’œuvre de Paul est positivement colossale. Elle est l’aboutissement d’un labeur ininterrompu pendant des années, d’une constance de tous les jours, d’une recherche permanente avec cette curiosité d’esprit qui est la marque de l’historien. Et c’est précisément cette dimension historique qui a conduit notre ami à élargir son étude pour lui donner le cadre qui convenait, celui du « Constantinois », comme on a l’habitude de nommer ce territoire bordé au nord par le sable blond des plages, et au sud par le sable blond des dunes. Le rocher de Cirta, aujourd’hui Constantine, domine de sa fière allure l’abord des hauts plateaux, commandant l’accès au massif secret des Aurès qui a bien voulu consentir à ouvrir les gorges d’El-Kantara pour laisser passer le chemin de Biskra.
On me dira que partout sur cette terre, chacun est persuadé que son village est le plus beau du monde. C’est vrai aussi pour nous qui avons parcouru en tous sens cette province, y avons vécu, étudié, travaillé, aimé. Nous avons tant à dire, et en même temps nous nous taisons par un inexplicable sentiment de pudeur, par la certitude de ne plus jamais revoir les lieux de notre passé, par la crainte de réveiller cette douleur qui nous prend aux entrailles dès que le souvenir est ravivé. Nous devons à Paul une profonde gratitude pour avoir surmonté ces réticences, pour raconter ce que nous n’osons pas raconter, et pour aller plus loin encore dans une étude de valeur scientifique. Grâce à lui l’histoire retiendra ce que fut notre pays, et nous-mêmes découvrirons l’étendue de notre ignorance.
Or l'histoire, justement, s'écrit par l'étude, la compilation, la critique, la confrontation des récits de ceux qui l'ont vécue. Elle ne serait rien sans les témoignages. Mais quand le témoin se fait historien sans rien perdre de sa lucidité, quand ses joies et ses peines se sont inscrites dans une mémoire plus vaste que l'émotion a accompagnée, alors on peut comprendre que la passion trop longtemps contenue transparaisse. Paul s'y est parfois laissé aller. Nul ne peut lui en faire reproche car l'honnêteté et l'authenticité de ses enquêtes ne peuvent à aucun moment être remises en cause.
Quant à la vérité, je ne suis pas le premier à dire qu'insaisissable, elle s'enrichit de l'imaginaire de chacun d'entre nous.
Il nous faut donc, dans l'oeuvre de Paul, apprécier et ressentir. Apprécier le travail de l'historien dans ce qui relève de l'étude. Et ressentir avec lui la douloureuse traversée d'une époque, marquée par tant de drames, de retournements de situations et de vicissitudes politiques et humaines.
On trouvera ce livre émouvant. Mais, la dernière page tournée, il sera difficile d'échapper à la vision désespérée de l'écroulement d'un monde.
Georges Apap.
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