Le Père Noël existe-t-il ? Telle est la question. Je veux dire celle que m’a posée abruptement une petite fille de ma connaissance. Je n’ai pas su quoi répondre, sinon que cela demandait réflexion, que les opinions divergeaient, qu’il était aventureux pour moi de me prononcer sans une enquête sérieuse, bref tout ce qui, en matière d’échappatoire, permet de se soustraire sans naufrage à une situation embarrassante. Mon interlocutrice, cependant, insistait sur l’enquête sérieuse, que pourtant je n’avais promise qu’à demi. Je dus m’exécuter.
Assumant le rôle de co-équipière, ma questionneuse me guida, de cour de récréation en terrains de jeux, vers une population tout juste sortie des langes et des poussettes, mais dont quelques remarquables exemplaires paraissaient avoir été nourris autant de philosophie que de lait maternel. C’est ainsi que pour le premier questionné, qui se jurait bergsonien, le Père Noël était une donnée immédiate de la conscience. Ce personnage existe, disait-il, mais il est né d’un souffle de l’âme. Une fillette au contraire, inspirée par Sartre, expliqua comment, à partir d’une existence réelle se sublima l’essence éthérée du bonhomme, et avec elle l’idée, le concept, qui esquissent toutes les déclinaisons de son image. C’est la pesanteur et la grâce, ajouta l’une de ses camarades qui croyait abonder dans son sens. Se disant positiviste, un autre nous montra les cadeaux qu’il avait trouvés débordant de bottes profondes placées devant la cheminée et qui prouvaient, par leur seule présence, la réalité tangible et même historique de certains récits que quelques sceptiques mettaient pourtant en doute avec un aplomb inconvenant. Un cartésien à la recherche de sa foi crut pouvoir s’affranchir de son doute dans une parole dépouillée : Je le pense, donc il est !
C’est autour de raisonnements de la même veine que s’exprimèrent d’autres interlocuteurs. Seule une minorité penchait pour l’affabulation. Mais notre opinion n’arrivait pas à se construire, le plus grand nombre n’étant pas toujours détenteur de vérité.
C’est alors que nous avisâmes un garçon taciturne qui grommelait dans un borborygme des mots dans lesquels nous crûmes discerner celui de « révolution ». Nous lui demandâmes comment il se situait dans le débat, et sa réponse fut péremptoire. Vous n’ignorez pas, dit-il, comment nos parents invoquent cette légende farfelue pour l’utiliser contre nous. Ils prétendent brider notre désir d’indépendance et notre goût des loisirs par la menace ou la promesse de l’intervention d’un vieillard abusivement vénéré, et qui usurpe autant le rouge subversif de sa houppelande que la blancheur marxienne de sa barbe. Les enfants ne devraient jamais croire les adultes. Le Père Noël, c’est l’opium du peuple des enfants !
Georges Apap, Béziers le 25 décembre 2009.
mercredi 5 janvier 2011
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