lundi 20 septembre 2010

Le paradoxe du révolutionnaire.

On les appelle « Economistes » et ce seul titre suffit à leur conférer un étrange prestige. Il est vrai que leur caste peut s’enorgueillir de nombreux prix Nobel, et d’une impressionnante lignée de savants, professeurs, chroniqueurs, commentateurs et auteurs, à la science pourtant incertaine et souvent obscure, de cette obscurité qui justement suscite l’admiration la plus vive, car il est connu qu’on est tenté d’adorer ce que l’on ne comprend pas.
Or, aussi nombreux soient-ils, il ne s’en trouvera pas deux qui aient la même analyse des faits économiques et des évènements qui affectent, parmi les activités humaines, celle qui vise à s’enrichir par la production et la consommation des biens matériels.
On me dira que l’économie n’est pas une science exacte et que ses théorèmes sont perpétuellement remis en cause. On n’en peut faire le reproche à personne, mais cette incertitude n’assoit aucune crédibilité et rend incompréhensible l’enthousiasme qui accompagne chacune des œuvres divergentes et des pensées impénétrables de cette élite.
Si bien que je crois, moi, que n’importe lequel d’entre nous est fondé à se laisser aller à sa propre intuition pour donner à ces faits et évènements une interprétation personnelle qui vaut n’importe quelle autre.
Je répète ce qui est admis par tous, à savoir que le capitalisme se perpétue de crise en crise, et que chacune de ces crises naît d’une distorsion dans le partage, dans l’entreprise, des richesses produites par les travailleurs. Il s’agit de comprimer les salaires pour mieux alimenter les dividendes des actionnaires. La crise de surproduction apparaît dès que les populations appauvries ne peuvent plus consommer ce qu’elles produisent, faute de moyens.
Ce mécanisme est connu. Mais l’avidité des actionnaires est telle, que l’employeur ne veut rien concéder aux salariés, et qu’il précipite ainsi la crise.
Il fut un temps où la misère des travailleurs laissait indifférents leurs exploiteurs qui savaient trouver ailleurs des débouchés pour leur production. Les guerres coloniales et les conquêtes leur procuraient de nouveaux marchés, sans compter la ressource de matières premières obtenues à des prix dérisoires pour leurs manufactures.
Cette joyeuse époque est aujourd’hui révolue. La spoliation de populations indigènes dans des pays lointains a cessé d’être sanglante, quoique plus insidieuse. Elle ne suffit plus aux prédateurs pour tirer le profit espéré d’une production surabondante. Pourtant la simple idée d’augmenter les salaires les révulse. Il faut trouver autre chose. Ce sera le crédit à la consommation. On ouvre les vannes à l’endettement des ménages avec un empressement délirant, au mépris de la précaution élémentaire d’un examen de la solvabilité des emprunteurs. Quand vient le moment de régler les comptes la crise éclate comme une grenade dégoupillée, au grand étonnement simulé de financiers qui jouent la stupéfaction devant leurs propres turpitudes. Cette crise, c’est celle que nous vivons aujourd’hui.
On a cependant connu des périodes de clairvoyance, celles où les employeurs ne lésinaient plus sur les salaires et assuraient au prolétariat des revenus qui lui permettaient, par la consommation, d’absorber la production. Le capitalisme connaissait alors une prospérité qu’accompagnait l’apaisement relatif du climat social. Ainsi l’américain Henry Ford fit fortune en décidant que chacun de ses ouvriers devait pouvoir, avec son seul salaire, acquérir une des automobiles fabriquées dans son usine. C’était au tout début du vingtième siècle. De même après la guerre, pendant ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses, le rééquilibrage des salaires a assuré la prospérité des entreprises, non seulement par l’application des théories du britannique Keynes qui prônait l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés, mais aussi par la poussée du robuste mouvement social de l’époque.
S’il faut, de tout cela, dégager une conclusion, et si ces observations ne sont pas erronées, on énoncera que les bas salaires favorisent les crises du système et son affaiblissement, tandis que le bien-être tout relatif des travailleurs conforte le capitalisme dans sa vocation d’exploiteur et dans son destin de parasite du genre humain.
La traduction politique de ce paradoxe fera que le plus convaincu des marxistes se battra, au nom de la solidarité, pour soutenir toute revendication visant à l’amélioration de la condition des travailleurs, et que, ce faisant, il gagnera inconsciemment et avec les meilleures intentions du monde, les rangs des adversaires de la transformation sociale.
Reste donc posée la question de savoir si l’on peut faire de la bonne politique avec de bons sentiments.

Georges Apap, Béziers le 5 juin 2009.
publié par "lo Camel".

Identité de classe.

Les mythes ont toujours suffi à meubler les lacunes des connaissances humaines. Ils ont aidé à croire que nous pouvions connaître l’inconnaissable et nous ont doucement conduits dans l’espace religieux. Jusqu’au moment où ils se sont pervertis en mystifications. Si les anciens proposaient à l’admiration des peuples les sirènes, centaures, cyclopes et autres monstres, si les écossais sont fiers de leur Loch Ness, quelles vaines et insignifiantes glorioles comparées à l’immense imposture qu’on nous a offerte, à nous Français, sous le nom d’ « identité nationale » !
Car voici qu’envahit le débat public un nuage inconsistant qu’on hésite à appeler idée, notion, concept ou autre dénomination abstraite, en face du vide absolu de toute définition, de toute description, de toute approche, si mince soit-elle, d’une réalité perceptible ou même d’un imaginaire compréhensible. Beaucoup s’y sont essayés pourtant avec passion, sans jamais réussir à convaincre ni à rassembler une opinion égarée.
On a assez expliqué par des nécessités électorales et des soucis politiques la génération spontanée de ce rien, pour que je m’abstienne d’y ajouter mon propre commentaire. Ce qui étonne cependant c’est le volume soudainement occupé dans la sphère intellectuelle par une controverse obscure entre bretteurs fougueux qui se contredisent dans l’indignation et la fureur. On a rarement vu déployer tant de dialectique de part et d’autre du néant.
Or, pendant que les commentateurs s’affrontent, les travailleurs, les exploités, les chômeurs, les sans domicile, les sans papiers, les sans droits, tous se reconnaissent dans l’interchangeabilité de leur condition et dans la précarité de leur sort. Tous savent bien qu’ils ne s’identifieront jamais à ceux qui les exploitent et qu’aucun patriotisme économique n’effacera leur opposition de classe. On a bien vu, au dernier congrès de la CGT comment apparaissait une solidarité de classe contestataire qui n’acceptera plus les compromissions d’un syndicalisme d’accompagnement, synonyme de collaboration de classe.
Une conscience s’éveille chez les travailleurs. Ils savent le peu qu’ils comptent dans la nation aux yeux de ceux qui veulent les délocaliser pour écraser les salaires. Ils se moquent de frontières qui ne les protègent pas, comme s’en moquent aussi ceux qui vont planquer dans des paradis fiscaux l’argent qu’ils n’ont pas gagné. Ce sont bien deux catégories sociales qui s’opposent, l’une dominant l’autre, dans une lutte des classes mondiale où la dictature de la bourgeoisie étend son empire sur les hommes, les choses et la planète.
La seule identité visible c’est l’appartenance à une classe. Elle n’a rien de national quand la nation se dilue dans des intérêts qui la dépassent et qui la nient.
On ne peut mieux illustrer ce qui précède que par la reproduction intégrale de la sinistre profession de foi du milliardaire américain Warren Buffett dans le « New York Times » du 26 novembre 2006 : « Il y a une guerre des classes, c’est vrai, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre, et c’est nous qui la gagnerons ».
Ceux qui n’ont pas compris qu’il n’y a pas d’autre issue que la révolution, nous expliqueront comment ils vont échapper à cet écrabouillement de leurs espoirs, de leur avenir, de leur vie, à supposer qu’ils en aient forgé l’utopie.

Georges Apap, Béziers le 11 décembre 2009.
publié par "lo Camel" Janvier 2010.