dimanche 27 juin 2010

BIDONVILLE ET DROIT

Nous sommes dans la cité généreuse de Lyon où les élus sont connus pour leur sens de l’hospitalité. Nous avons gagné la rue Paul Bert, dans le troisième arrondissement. On nous a montré sur un terrain appartenant au département, un campement à l’allure de bidonville peuplé d’une centaine de Roms originaires de Roumanie, tous expulsés d’autres campements de la ville et qui se sont regroupés là dans l’illégalité la plus flagrante, en violation du droit sacré de propriété dont le département est, ici, l’indiscutable titulaire. Gardien vigilant du patrimoine départemental le Conseil Général se devait de faire déguerpir les intrus. Il crut pouvoir user de la procédure de référé habituelle pour obtenir, comme d’usage, dans le strict respect des codes et pour la bienséance institutionnelle, une ordonnance prononçant leur expulsion.
La stupéfaction fut grande dans le monde judiciaire et politique lorsque le Président du Tribunal annonça, le 16 novembre 2009, que les Roms ne seraient pas expulsés d’un campement qui constituait leur domicile «protégé, au titre du respect dû à la vie privée et familiale des personnes par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme». Le magistrat ajoutait que le département n’était en rien privé de la jouissance de son droit puisque aucun projet n’était prévu pour ce terrain, et, disait-il, «même si les conditions de vie, qualifiées par le Commissaire de Police, en terme d’hygiène, de rudimentaires à l’intérieur du campement et de déplorables à proximité immédiate, sont celles d’un bidonville, le département du Rhône ne démontre pas qu’elles présentent des dangers et des risques particuliers autres que ceux propres à ce type de situation que connaît l’agglomération lyonnaise depuis des années».
Le profane doit savoir qu'une telle ordonnance peut "faire jurisprudence", comme disent les initiés,et que la jurisprudence est une manière de trancher une question de droit dans un sens qui peut rompre avec les habituelles applications strictes des codes. Elle peut contribuer à modifier la loi. On voit dans la décision du magistrat lyonnais comment le droit de propriété, considéré comme sacré dans notre législation, peut être supplanté, dans une interprétation pleine d’humanité et de bon sens, par un concept relevant du respect de la personne humaine, fût-elle celle de réprouvés injustement traités par leurs contemporains, ceux là même qui pourtant s’émeuvent des malheurs des enfants du tiers monde : les voies de la compassion sont impénétrables.
Une nouvelle fois la démonstration est faite que le courage de certains magistrats peut gommer l'âpreté et la rudesse des lois qui protègent l'ordre établi en son prestige, et les honnêtes gens en leur bonne conscience.
Georges Apap, le 13 Décembre 2009.

RETRAITES IMAGINEES


On nous dit que, puisque l’espérance de vie progresse, on doit travailler plus longtemps. Et moi je réponds que, puisque l’espérance de vie progresse, on doit se reposer plus longtemps.
Ce n’est pas une boutade. Je pense à une société qui serait reconstruite pour le bonheur du peuple, en abrégeant sa servitude, plutôt qu’en prolongeant son exploitation. On ne voit pas pourquoi l’actionnaire d’une multinationale se reposerait toute sa vie de n’avoir jamais travaillé, et demanderait à ceux qui produisent les richesses dont il se gave de tirer le harnais encore quelques années, juste pour lui garantir son fastueux train de vie.
Le système qui consiste, pour les travailleurs, à longuement cotiser pour se constituer une retraite qui s’amaigrit au fil du temps, est un système périmé. Les cotisations n’y suffisent plus puisque le chômage, conjugué avec l’allongement de la vie fait, paraît-il, qu’un travailleur doit désormais entretenir deux retraités, ce qui est évidemment au dessus de ses forces. Les retraites ne doivent plus être prélevées sur la chiche rémunération du travail, mais sur la richesse produite par le travail. Ce sont les travailleurs qui assurent la prospérité de la nation. Les retraités doivent y avoir leur part. Ils y ont contribué toute leur vie.
Par conséquent il faut en finir avec les cotisations, salariales ou patronales, avec les exonérations concédées par la faveur du prince, et avec les caisses de retraites déficitaires. La protection sociale doit reposer sur la collectivité par une élémentaire logique de solidarité, un vrai souci de morale publique. Une autre répartition de l’effort doit y pourvoir. Les retraités doivent bénéficier de la prospérité de la nation et s’inviter au partage dans la valeur ajoutée des entreprises, dans les revenus du capital, et plus largement dans le produit intérieur brut. Les ressources ne manquent pas. C’est la façon dont elles doivent être collectées qui doit changer, comme aussi la manière dont elles doivent irriguer le peuple dans ses besoins, dans ses exigences.
Il y faut une autre vision de la société. La lutte des travailleurs n’est plus désormais de discuter des modalités d’un système qui continue de peser sur leurs seules épaules. Les organisations syndicales doivent penser autrement l’avenir de la classe salariale, et se pénétrer de l’idée que leur exacte mission est d’aider le peuple à se délivrer de la domination.
Georges Apap, Béziers le 15 juin 2010.