Cher Monsieur Mélenchon,
Je vous écoute et vous lis toujours attentivement. Dernièrement j’ai parcouru votre « petit courrier du blog n°59 », et hier Lundi 14 Novembre je vous ai écouté répondre à J.J. Bourdin. J’ai à peu près retrouvé dans ce dernier dialogue une phrase de votre blog : « le Traité de Lisbonne rend l’Europe impuissante face aux crises financières », phrase que vous illustrez par l’énoncé de cinq interdictions, sans doute pour expliquer qu’il ne s’agit pas de votre part d’une simple pétition de principe. Vous avez évidemment raison.
Puis-je, cependant, me permettre une suggestion :
La phrase que j’ai citée me paraît lapidaire dans la mesure où n’apparaît pas le lien entre le Traité et la toute puissance de la finance. Oui, je sais, il y a bien vos cinq interdictions. Mais ce ne sont que les déclinaisons secondaires de ce dogme que vous connaissez mieux que moi, qui figurait en toutes lettres dans feu le Traité Constitutionnel, et qui a été repêché et dissimulé dans le Traité de Lisbonne : "l’Union offre à ses ressortissants un marché unique où la concurrence est libre et non faussée".
La formule a d’abord trompé. Dans un premier temps, partant de l’idée que tout ce qui est faussé est détestable, on a pu adhérer. Mais après réflexion le piège a été éventé et il est apparu qu’une concurrence non faussée annonçait un marché que les pouvoirs publics ne régulaient plus, une spéculation affranchie du contrôle de l’Etat, et en bref la suprématie du financier sur le politique. Vous savez si bien ces choses et vous les avez tellement intégrées que vous n’en parlez plus, persuadé que vos auditoires ou votre lectorat en ont la même conscience que vous. Et je vous écris pour vous dire que ce n’est pas le cas. Je me souviens qu’en 2005, pendant la campagne du referendum, j’essayais d’expliquer cela auprès de gens qui, pour la plupart avaient au moins la même culture que moi, mais qui n’avaient pas lu le projet de traité, et qui par conséquent me traitaient gentiment de songeur exalté.
C’est vous dire qu’encore aujourd’hui, le peuple a besoin d’explication. Il lui faut comprendre qu’il n’a rien à attendre d’une classe politique qui s’accommode de cette Europe et qui bâtit ses programmes pour complaire aux banquiers, ou au moins pour ne pas les indisposer. Il faut que, quand ce peuple voit que de prétendus technocrates, en réalité agents du système financier international, font et défont les gouvernements des Etats en dehors de lui et même contre lui, il faut qu’il sache que ceci est inéluctable et le restera tant que personne n’osera ou ne pourra mettre en pièces ce traité désastreux.
Je ne vous apprends rien et vous dites déjà mieux que moi presque tout cela. Mais je crois qu’il manque à votre raisonnement, qui est d’une parfaite logique, ce petit rien qui ferait le lien, dans l’esprit des gens entre quelques idées simples. Vous sauriez, ce faisant, vous garder de toute condescendance car vous savez parler au peuple.
Notez aussi que le dogme ne régente pas seulement l’économie, mais qu’il est de portée universelle : par exemple il peut même s’opposer à l’exercice des droits fondamentaux. En effet le projet de traité (article 112) portait que la Charte des droits fondamentaux subirait toute limitation exigée par une atteinte portée aux « objectifs », c’est-à-dire, en clair, au principe de la concurrence libre et non faussée.
Enfin, Monsieur Mélenchon, dussè-je être taxé d’outrecuidance, j’ose vous conseiller de ne plus permettre, dans les débats ou apparitions à l'écran, que vous coupent la parole des gens qui attachent plus d’importance à leurs questions qu’à vos réponses, et qui veulent faire leur numéro.
Je vous salue bien cordialement.
Georges Apap, Béziers.
lundi 21 novembre 2011
samedi 12 mars 2011
monsieur Thibault
A en croire le journal l’ Humanité du 1er Mars dernier, Monsieur Thibault est « très remonté ». Monsieur Thibault est le secrétaire général du syndicat CGT, celui là même dont la direction, au cours du dernier mouvement social d’envergure, a fait prévaloir la raison en s’opposant à la grève générale. Pourquoi Monsieur Thibault est-il très remonté ? Parce que la France et l’Allemagne veulent imposer à l’Europe leur pacte de compétitivité. Qu’est-ce que le pacte de compétitivité ? C’est, en gros, le recul de tous les droits des salariés en matière de rémunérations, de retraites, de protection sociale, généralisé à tous les pays d’Europe. Ces sacrifices sont destinés au rééquilibre des budgets de nos pays. Bien entendu petits et grands groupes industriels en sont dispensés au nom de la protection de l’emploi, protection dont l'efficacité est restée jusqu’ici très discrète.
Cette perspective est insupportable à Monsieur Thibault qui s’indigne.
Pourtant ce qui arrive aujourd’hui est la conséquence prévisible du projet de traité constitutionnel européen soumis à référendum le 29 Mai 2005, en faveur duquel Monsieur Thibault voulait voter « Oui » avant d’être rattrapé par sa base in extremis. On connaît la phrase clé qui donnait tous les pouvoirs aux financiers sur notre économie : « l’Union offre à ses ressortissants un marché unique où la concurrence est libre et non faussée. » On sait comment après avoir voté Non, le peuple a été trahi par ses élus qui ont autorisé le Président à signer le traité de Lisbonne, réplique fidèle du traité constitutionnel de 2005.
Voilà pourquoi l’indignation de Monsieur Thibault, qui était d’accord à l’origine pour la concurrence libre et non faussée, est aujourd’hui surprenante. Mais elle est bienvenue. Monsieur Thibault, maintenant convaincu s’oppose, un peu tardivement peut-être, mais vigoureusement, à l’inéluctable progression du capital et de la finance aux dépens des peuples.
Que fait-il ? Peut-être pensez vous qu’il va réunir ses troupes, les haranguer, leur expliquer le danger et les appeler à une réaction dure. Il ne le fera pas. Supposez que parmi les militants se dresse un illuminé pour crier « grève générale ». On sait que l’expression a le don de provoquer chez Monsieur Thibault un état d’impatience qu'il maîtrise mal.
Autre attitude : il pourrait s’adresser au pays tout entier, convoquer une conférence de presse et faire savoir au peuple à travers les médias ce qui se trame contre lui. Mais Monsieur Thibault répugne à passer pour un révolutionnaire. C’est un sage qui attache à l’ordre et à la bienséance l’importance qui leur est due.
Voilà pourquoi, très remonté, il s’en va à l’Elysée pour faire part de son amertume dans ce monde où il a ses entrées. On ne nous dit rien, et pour cause, ni sur la qualité du cognac présidentiel, ni sur l’aménité des échanges à propos de la dureté des temps pour les décideurs de tout bord. On sait seulement que l’échine de Monsieur Thibault paraissait bien courbée au moment où il prenait congé de son hôte superbe et généreux.
Voila comment, dans une conception qui lui est particulière, Monsieur Thibault a bien accompli les devoirs et subi les servitudes de son mandat syndical.
Georges Apap, Béziers le 12 mars 2011.
Cette perspective est insupportable à Monsieur Thibault qui s’indigne.
Pourtant ce qui arrive aujourd’hui est la conséquence prévisible du projet de traité constitutionnel européen soumis à référendum le 29 Mai 2005, en faveur duquel Monsieur Thibault voulait voter « Oui » avant d’être rattrapé par sa base in extremis. On connaît la phrase clé qui donnait tous les pouvoirs aux financiers sur notre économie : « l’Union offre à ses ressortissants un marché unique où la concurrence est libre et non faussée. » On sait comment après avoir voté Non, le peuple a été trahi par ses élus qui ont autorisé le Président à signer le traité de Lisbonne, réplique fidèle du traité constitutionnel de 2005.
Voilà pourquoi l’indignation de Monsieur Thibault, qui était d’accord à l’origine pour la concurrence libre et non faussée, est aujourd’hui surprenante. Mais elle est bienvenue. Monsieur Thibault, maintenant convaincu s’oppose, un peu tardivement peut-être, mais vigoureusement, à l’inéluctable progression du capital et de la finance aux dépens des peuples.
Que fait-il ? Peut-être pensez vous qu’il va réunir ses troupes, les haranguer, leur expliquer le danger et les appeler à une réaction dure. Il ne le fera pas. Supposez que parmi les militants se dresse un illuminé pour crier « grève générale ». On sait que l’expression a le don de provoquer chez Monsieur Thibault un état d’impatience qu'il maîtrise mal.
Autre attitude : il pourrait s’adresser au pays tout entier, convoquer une conférence de presse et faire savoir au peuple à travers les médias ce qui se trame contre lui. Mais Monsieur Thibault répugne à passer pour un révolutionnaire. C’est un sage qui attache à l’ordre et à la bienséance l’importance qui leur est due.
Voilà pourquoi, très remonté, il s’en va à l’Elysée pour faire part de son amertume dans ce monde où il a ses entrées. On ne nous dit rien, et pour cause, ni sur la qualité du cognac présidentiel, ni sur l’aménité des échanges à propos de la dureté des temps pour les décideurs de tout bord. On sait seulement que l’échine de Monsieur Thibault paraissait bien courbée au moment où il prenait congé de son hôte superbe et généreux.
Voila comment, dans une conception qui lui est particulière, Monsieur Thibault a bien accompli les devoirs et subi les servitudes de son mandat syndical.
Georges Apap, Béziers le 12 mars 2011.
jeudi 27 janvier 2011
Adieu à Daniel Bensaïd
Un an après la mort de Daniel Bensaïd, il m'a paru opportun, comme pour renouveler un hommage, de publier le petit texte qu'on va lire et dont la LCR-NPA avait à l'époque donné à Montpellier une lecture publique. Voici ce texte :
Mardi 12 Janvier 2010 Daniel Bensaïd est mort. Le lendemain l’Huma publie de lui un très beau portrait. Il parle devant un micro. Son visage est anguleux. Sa joue droite s’affaisse légèrement, soulignée par une ride. Sa maigreur trahit la fatigue. Mais il a, derrière ses lunettes, un regard éthéré qui semble percer l’objet pour atteindre l’idée, et qui s’égare dans un lointain connu de lui seul. Il lève un index droit annonciateur, comme s’il voulait susciter l’attention d’un auditoire appelé à entendre quelque paradoxe qui pulvérise les lieux communs ou à méditer une de ces abstractions ardues où l'hypothèse et l'engagement se donnent la réplique.
La coïncidence a voulu que mon livre de chevet actuel soit justement cet « Eloge de la résistance à l’air du temps » qu’il venait d’écrire. Je le suis de loin dans une pensée difficile où s’épanouit un marxisme critique. Sur le chemin encombré des idées, c’est un compagnon de bon aloi vers qui on va en quête d'une orientation politique, comme on userait d’une boussole. Aujourd’hui, alors que je cherche ma voie et que je me tourne vers lui pour trouver un repère, il vient de s’effondrer à mes côtés comme ce soldat de la poésie allemande fauché par une balle aux côtés de son camarade (..."Eine Kugel kam geflogen").
Je ne le connaissais pas personnellement. Je ne l’ai jamais vu ni entendu. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir honoré les invitations pressantes d’amis de la Ligue Communiste Révolutionnaire qui m’incitaient à aller l’entendre aux journées d’été de Leucate, tout près de chez moi.
Voici venu le temps de l’absence. Je mesure le désarroi de ses camarades de parti à l’aune de ma propre tristesse.
Georges Apap, Béziers le 14 janvier 2010
Mardi 12 Janvier 2010 Daniel Bensaïd est mort. Le lendemain l’Huma publie de lui un très beau portrait. Il parle devant un micro. Son visage est anguleux. Sa joue droite s’affaisse légèrement, soulignée par une ride. Sa maigreur trahit la fatigue. Mais il a, derrière ses lunettes, un regard éthéré qui semble percer l’objet pour atteindre l’idée, et qui s’égare dans un lointain connu de lui seul. Il lève un index droit annonciateur, comme s’il voulait susciter l’attention d’un auditoire appelé à entendre quelque paradoxe qui pulvérise les lieux communs ou à méditer une de ces abstractions ardues où l'hypothèse et l'engagement se donnent la réplique.
La coïncidence a voulu que mon livre de chevet actuel soit justement cet « Eloge de la résistance à l’air du temps » qu’il venait d’écrire. Je le suis de loin dans une pensée difficile où s’épanouit un marxisme critique. Sur le chemin encombré des idées, c’est un compagnon de bon aloi vers qui on va en quête d'une orientation politique, comme on userait d’une boussole. Aujourd’hui, alors que je cherche ma voie et que je me tourne vers lui pour trouver un repère, il vient de s’effondrer à mes côtés comme ce soldat de la poésie allemande fauché par une balle aux côtés de son camarade (..."Eine Kugel kam geflogen").
Je ne le connaissais pas personnellement. Je ne l’ai jamais vu ni entendu. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir honoré les invitations pressantes d’amis de la Ligue Communiste Révolutionnaire qui m’incitaient à aller l’entendre aux journées d’été de Leucate, tout près de chez moi.
Voici venu le temps de l’absence. Je mesure le désarroi de ses camarades de parti à l’aune de ma propre tristesse.
Georges Apap, Béziers le 14 janvier 2010
mercredi 5 janvier 2011
Père Noël
Le Père Noël existe-t-il ? Telle est la question. Je veux dire celle que m’a posée abruptement une petite fille de ma connaissance. Je n’ai pas su quoi répondre, sinon que cela demandait réflexion, que les opinions divergeaient, qu’il était aventureux pour moi de me prononcer sans une enquête sérieuse, bref tout ce qui, en matière d’échappatoire, permet de se soustraire sans naufrage à une situation embarrassante. Mon interlocutrice, cependant, insistait sur l’enquête sérieuse, que pourtant je n’avais promise qu’à demi. Je dus m’exécuter.
Assumant le rôle de co-équipière, ma questionneuse me guida, de cour de récréation en terrains de jeux, vers une population tout juste sortie des langes et des poussettes, mais dont quelques remarquables exemplaires paraissaient avoir été nourris autant de philosophie que de lait maternel. C’est ainsi que pour le premier questionné, qui se jurait bergsonien, le Père Noël était une donnée immédiate de la conscience. Ce personnage existe, disait-il, mais il est né d’un souffle de l’âme. Une fillette au contraire, inspirée par Sartre, expliqua comment, à partir d’une existence réelle se sublima l’essence éthérée du bonhomme, et avec elle l’idée, le concept, qui esquissent toutes les déclinaisons de son image. C’est la pesanteur et la grâce, ajouta l’une de ses camarades qui croyait abonder dans son sens. Se disant positiviste, un autre nous montra les cadeaux qu’il avait trouvés débordant de bottes profondes placées devant la cheminée et qui prouvaient, par leur seule présence, la réalité tangible et même historique de certains récits que quelques sceptiques mettaient pourtant en doute avec un aplomb inconvenant. Un cartésien à la recherche de sa foi crut pouvoir s’affranchir de son doute dans une parole dépouillée : Je le pense, donc il est !
C’est autour de raisonnements de la même veine que s’exprimèrent d’autres interlocuteurs. Seule une minorité penchait pour l’affabulation. Mais notre opinion n’arrivait pas à se construire, le plus grand nombre n’étant pas toujours détenteur de vérité.
C’est alors que nous avisâmes un garçon taciturne qui grommelait dans un borborygme des mots dans lesquels nous crûmes discerner celui de « révolution ». Nous lui demandâmes comment il se situait dans le débat, et sa réponse fut péremptoire. Vous n’ignorez pas, dit-il, comment nos parents invoquent cette légende farfelue pour l’utiliser contre nous. Ils prétendent brider notre désir d’indépendance et notre goût des loisirs par la menace ou la promesse de l’intervention d’un vieillard abusivement vénéré, et qui usurpe autant le rouge subversif de sa houppelande que la blancheur marxienne de sa barbe. Les enfants ne devraient jamais croire les adultes. Le Père Noël, c’est l’opium du peuple des enfants !
Georges Apap, Béziers le 25 décembre 2009.
Assumant le rôle de co-équipière, ma questionneuse me guida, de cour de récréation en terrains de jeux, vers une population tout juste sortie des langes et des poussettes, mais dont quelques remarquables exemplaires paraissaient avoir été nourris autant de philosophie que de lait maternel. C’est ainsi que pour le premier questionné, qui se jurait bergsonien, le Père Noël était une donnée immédiate de la conscience. Ce personnage existe, disait-il, mais il est né d’un souffle de l’âme. Une fillette au contraire, inspirée par Sartre, expliqua comment, à partir d’une existence réelle se sublima l’essence éthérée du bonhomme, et avec elle l’idée, le concept, qui esquissent toutes les déclinaisons de son image. C’est la pesanteur et la grâce, ajouta l’une de ses camarades qui croyait abonder dans son sens. Se disant positiviste, un autre nous montra les cadeaux qu’il avait trouvés débordant de bottes profondes placées devant la cheminée et qui prouvaient, par leur seule présence, la réalité tangible et même historique de certains récits que quelques sceptiques mettaient pourtant en doute avec un aplomb inconvenant. Un cartésien à la recherche de sa foi crut pouvoir s’affranchir de son doute dans une parole dépouillée : Je le pense, donc il est !
C’est autour de raisonnements de la même veine que s’exprimèrent d’autres interlocuteurs. Seule une minorité penchait pour l’affabulation. Mais notre opinion n’arrivait pas à se construire, le plus grand nombre n’étant pas toujours détenteur de vérité.
C’est alors que nous avisâmes un garçon taciturne qui grommelait dans un borborygme des mots dans lesquels nous crûmes discerner celui de « révolution ». Nous lui demandâmes comment il se situait dans le débat, et sa réponse fut péremptoire. Vous n’ignorez pas, dit-il, comment nos parents invoquent cette légende farfelue pour l’utiliser contre nous. Ils prétendent brider notre désir d’indépendance et notre goût des loisirs par la menace ou la promesse de l’intervention d’un vieillard abusivement vénéré, et qui usurpe autant le rouge subversif de sa houppelande que la blancheur marxienne de sa barbe. Les enfants ne devraient jamais croire les adultes. Le Père Noël, c’est l’opium du peuple des enfants !
Georges Apap, Béziers le 25 décembre 2009.
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