dimanche 12 août 2012



Préface pour "Garde à vue".

Dans la grande variété de ses territoires, notre pays recèle des lieux inspirés que le voyageur qui s’arrête ne tarde pas à humer en de curieux effluves. C’est à un mouvement de l’âme qu’il doit de comprendre la singularité de ces refuges de pureté.
Il en est ainsi de la petite ville de Saint-Pons de Thomières, au nord de Béziers, au pied des montagnes. Son passé, très ancien, est depuis toujours agité. Le Larzac n’est pas loin. Le Mercredi matin au marché du foirail, l’air se respire d’une autre manière.
On ne peut démêler ce que la cité doit aux hommes qui sont venus la peupler, de ce qu’elle leur a elle-même offert, mais un souffle de contestation s’empare des rues de la ville comme une brise tiède pour la maturation de ces accès de fièvre qui, dans l’histoire du pays, ont toujours indiqué aux décideurs quelles limites ils ne devaient pas franchir.
Les évènements qui meublent la chronique qu’on va lire baignent dans ce même rude climat qui recouvre leur diversité. Ils s’étendent sur les dix dernières années qui précèdent l’écriture de ces lignes.
On lira comment un élu du peuple, gagné par une ambition personnelle, a cru pouvoir mettre sur pied un projet désastreux, et comment, effrayé par la colère qu’il avait déchaînée, il a réussi, virtuose de la volte face, à prendre la tête de la révolte contre son propre projet qui convenait pourtant bien aux autres élus du département. On verra comment la détermination des Saint-Ponais rassemblés a eu raison de la voracité d’une multinationale qui voulait « changer la merde en or » en posant « une bouse au milieu des marguerites » selon les expressions imagées d’un des protestataires les mieux inspirés…
On lira encore, brièvement rapportée, l’histoire avortée de l’implantation des éoliennes.
Enfin, on s’indignera du traitement infligé par le pouvoir à des citoyens au dessus de tout soupçon, mystérieusement dénoncés comme possibles auteurs d’un complot dirigé contre le chef de l’état et contre quelques personnalités désignés par leur notoriété à la vindicte d’un  détraqué ultérieurement identifié. On verra comment le concept de terrorisme habilement manipulé par des policiers opiniâtres et oublieux du droit, a servi d’instrument de persécution renouvelée au cours d’enquêtes dont la dernière était manifestement abusive et dirigée en toute lucidité contre des innocents.
S’il est des enseignements à garder de ces évènements, on retiendra d’abord comment tout une population a été bernée par un élu qui a finalement, avec habileté, tiré son épingle du jeu sans dommage personnel. Le peuple est toujours trahi par ceux qu’il a choisis pour le représenter.
On n’oubliera pas non plus comment le pouvoir peut impunément s’emparer du prétexte terroriste pour maltraiter des citoyens d’une banale normalité, sans reproche, sans passé, des gens comme vous et moi, qu’on peut embastiller et détruire psychologiquement et matériellement avec une désinvolture de tortionnaire. Le peuple est toujours persécuté par ceux qui sont chargés de le protéger.
Le peuple n’a aucun recours auprès d’une justice démembrée, dont l’indépendance a été consciencieusement ravagée.
Le peuple ne peut compter que sur lui-même.

Georges Apap, Béziers le 2 Mai 2010. 
"Garde à vue", ouvrage de Pierre Blondeau et Marcel Caron, relate l' "affaire du corbeau" à Saint-Pons de Thomières, et a été publié en 2010 à"La Cigale" à Saint-Pons.  

dimanche 13 mai 2012

L'air pourtant se respire...



Jean Giraudoux termine sa pièce « Electre » par cette double réplique :
"-Comment cela s’appelle-t-il quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire…
-Cela a un très beau nom. Cela s’appelle l’aurore."
Lundi matin, l’air était plus léger. On se réveillait d’un long cauchemar. La vulgarité, l’inculture, la cupidité et la corruption avaient cessé de régler nos persistantes angoisses. S’en est allé, enfin,  cet être clinquant, imbu de lui-même, soucieux de mise en scène, hâbleur taillé pour toutes les rodomontades, proférant dans un désert d’idées les contre vérités les plus grossières, soumis aux puissants, dur aux faibles, et finalement  ne laissant derrière lui que ruine et désolation.
Est-ce pour autant l’aurore annoncée par le poète ? Voici qu’apparaît un homme rond et souriant, qui proclame sa normalité comme d’autres exhibaient leur rolex ou leur prédilection pour les yachts de leurs fortunés amis. Voici déjà un autre style, un autre langage, une simplicité apparente et de bon aloi. Voici surtout celui qui nous a débarrassés de l’autre, et qui, ne serait-ce que pour cela, peut prétendre à notre  reconnaissance.
Mais de cela, nous ne pouvons nous contenter. Nous ne pouvons oublier que celui qui, dans un discours retentissant, a déclaré la guerre à la finance, est aussi celui qui, avec d’autres, a donné son accord, exprès ou tacite, à la signature de traités qui ont proclamé la suprématie du financier sur le politique, et la soumission des gouvernements aux puissances d’argent. Car c’était ça que de vouloir que « l’Union offre à ses ressortissants un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ». C’était ça le traité constitutionnel de 2005. C’était ça le traité de Lisbonne de 2008 auquel il aurait été si facile de s’opposer. Dès lors, quel changement politique profond espérer ? Quelle nouvelle répartition des richesses attendre, sinon superficielle ? Quel effort demandera-t-on aux classes privilégiées sinon d’apparence pour n’effrayer personne ? Quelle contestation du capitalisme spéculatif ? Quelle remise en cause du pouvoir des banquiers ? Quelle autre Europe ? Autant de questions lancinantes auxquelles on attendra des réponses pendant les mois et les années qui s’annoncent, avec le seul espoir de ne pas être trop déçu.
L’aurore ne sera qu’une lointaine, très lointaine perspective.
Béziers le 11 Mai 2012.
Publié par " Politis " numéro 1204.